Entretien réalisé par Etienne Krieger le 31 mai 2021

Adama Touré est un sage doté d’une solide culture économique et financière, ce qui l’a très tôt amené à faire sienne la maxime d’Alexandre Dumas fils, selon lequel l’argent est un bon serviteur et un mauvais maître. Adama a ainsi décidé de mettre son expertise financière au service du développement du continent africain cher à son cœur, dans des domaines aussi variés que le transport, l’agroalimentaire et la microfinance. Le contraste entre l’étendue des réalisations d’Adama et sa modestie est frappant. Sa conviction que « l’art se trouve au coin de la rue, à la rencontre de toute personne » est le reflet de son empathie. Contemplatif et résolument proactif, Adama n’a pas fini de s’émerveiller de la beauté du monde et de s’employer à révéler le meilleur de chacun d’entre nous.

Bonne lecture !

Adama Touré is a wise individual with a strong background in economics and finance, which led him early on to embrace Alexandre Dumas fils’ maxim that money is a good servant but a bad master. Consequently, Adama decided to put his financial expertise to work for the development of the African continent, a cause dear to his heart, in various fields such as transportation, agribusiness, and microfinance. The contrast between the extent of Adama’s achievements and his modesty is striking. His belief that « art is found around the corner, in the encounter with every person » reflects his empathy. Contemplative and resolutely proactive, Adama continues to marvel at the beauty of the world and dedicates himself to bringing out the best in each and every one of us.

Happy reading!

eK

Votre parcours et votre activité actuelle

Diplômé d’un DEA en Mathématiques appliquées option Probabilités – Statistiques de l’Université de Cocody-Abidjan et de l’Executive MBA à HEC Paris, j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans la finance de marché en tant que gérant de fonds spécialiste des marchés émergents. La crise financière de 2008 et le rôle de la finance dans le quotidien des personnes fragiles m’ont conduit à une réorientation de ma carrière. Ainsi, j’ai successivement monté un fonds à Londres pour investir dans des entreprises africaines, puis lancer une startup pour faciliter le déplacement des populations sur le continent africain. Cette startup a connu une croissance rapide en termes de chiffres et de notoriété. En effet, en trois ans, elle est passée de la couverture d’un pays à onze pays interconnectés. Parallèlement, elle a mûri de l’incubateur HEC de Station F à l’accélérateur 500Startups à San Francisco en passant par le programme MassChallenge du MIT en Suisse.

Mais, un évènement personnel est venu m’obliger à revoir mes priorités et à consacrer du temps et de l’énergie à une chose capitale pour moi : la famille.

Aujourd’hui, tout en conservant cette priorité et surtout en lui accordant encore plus d’attention qu’avant, j’accompagne diverses institutions publiques et privées africaines dans le financement et je dirige plusieurs entreprises, notamment dans l’agroalimentaire en Afrique.

Par ailleurs, j’enseigne le Suivi et Évaluation à l’Université d’Abidjan et je suis consultant sur ce sujet auprès d’institutions internationales. Je partage mes expériences avec les étudiants/participants de plusieurs programmes en France et en Afrique.

Malgré ces nombreuses occupations qui me passionnent, je garde toujours une place pour l’entrepreneuriat. Donc des projets sont en gestation…

L’art, la science, l’innovation et vous

Par nature curieux, je ne m’habitue pas à la monotonie. Ainsi, je suis friand d’innovations dans tous les domaines. De la technologie à la sociologie en passant par l’astronomie, la médecine, l’étude des animaux, de la nature…

Dans tous ces domaines, l’évolution de la connaissance a été fulgurante au cours des cent dernières années. Et cela devrait aller en s’accélérant. J’aime apprendre des autres, découvrir de nouvelles personnes qui m’enrichissent de toutes leurs facettes. J’aime cette phrase : « Il y a en vous et autour de vous des signes pour des gens qui réfléchissent ». Il me suffit d’observer autour de moi, dans les gens, la beauté des choses. L’art se trouve à chaque coin de rue, à la rencontre de toute personne.

Le savoir affranchit de la pire des maladies : l’ignorance. Mais, il conduit également à l’humilité, car « ce que je sais, c’est que je ne sais rien », disait Socrate ou « plus j’apprends, plus je réalise que je ne sais pas » (Albert Einstein). En effet, l’innovation vient souvent bouleverser nos certitudes, chambouler nos croyances. Mais c’est aussi un formidable moyen d’aller au-delà de nos limites mentales et psychologiques qui ne sont en fait que limitatives et toutes relatives. L’innovation a une merveille : « Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse » (Nelson Mandela).

Ainsi, de financier aguerri sur les marchés, je me suis retrouvé à conduire une startup en Afrique pour innover le mode de transport des personnes.

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

  • “Seul” de Garou : LIEN
  • “Laban Ko” de Nahawa Doumbia : LIEN
  • “Sougourouba” de Tiken Jah Fakoly : LIEN

Mon style de musique comprend le reggae, la musique malienne, la musique classique et la musique « moderne ». On y trouve sans être exhaustif les artistes Alpha Blondy, Soum Bill, Céline Dion, UB 40, Phil Collins, Papa Wemba, Ismaël Isaac, Oumou Sangaré, Néba Solo, Mickael Jackson, Tracy Chapman…

Trois œuvres littéraires

  • L’Afrique ambiguë (Georges Balandier)
  • Les Misérables (Victor Hugo)
  • Les frasques d’Ebinto (Amadou Koné).

Autres types de créations

Une histoire qui m’a fortement inspiré est celle de ce monsieur qu’est mon père. Tout petit, nous recevions la visite de l’une de ses tantes. A chacune de ses visites, mon père se pliait en quatre pour lui permettre de passer un excellent séjour. Évidemment, étant les petits-enfants, nous étions les bénéficiaires collatéraux des largesses de mon père pour sa tante. Aussi étions-nous toujours heureux qu’elle vienne le plus souvent à la maison.

Au décès de cette tante, mon père nous révéla les raisons de ces attentions toutes particulières qu’il portait à cette tante. Elle était sa dernière tante encore vivante, mais surtout, mon père a été très tôt orphelin. Il a perdu son père avant sa naissance et sa mère à l’âge de 5 ans. Il a donc été recueilli dans sa famille maternelle par ses tantes dont celle-ci.

Mais au contraire de bénéficier d’un amour et d’un accompagnement bienveillant de leur part, elles lui ont fait subir des supplices le traitant parfois de « sorcier » à la cause de la disparition de ses parents.

Quand je lui ai dit que je ne comprenais pas alors sa bienveillance à l’égard de cette dame, il dit que c’est grâce à l’attitude de ces tantes qu’il a vite compris dès le bas âge qu’il ne devrait apprendre qu’à compter que sur lui-même sans en attendre des autres et d’être bienveillant avec l’autre. Ainsi, il a fait d’une difficulté une force qui lui a permis de s’élever dans la société.

La leçon a été pour moi que toute difficulté est une opportunité à condition de la tourner à notre avantage et nous avons ce choix.

Trois clichés personnels

J’ai mobilisé des partenaires techniques et financiers pour l’accompagnement du programme de développement de la riziculture en vue de l’autosuffisance alimentaire en Côte d’Ivoire. Ce qui a donné lieu à la création d’un ministère dédié. Le riz est l’aliment le plus consommé en Côte d’Ivoire, notamment par les franges de la population les plus défavorisées.

Cette image a été prise lors de l’une de nos tournées auprès des populations rurales rizicoles au nord de la Côte d’Ivoire.

Un ciel bleu : quelle beauté ! Cette image m’inspire la plénitude. J’apprécie régulièrement de tourner le regard vers le ciel pour souvent me rappeler qu’il faut apprécier chaque instant, car cette image du ciel est belle quelles que soient les vicissitudes sur la Terre à ce même instant et pour tous en même temps. Quelle chance d’avoir accès gratuitement et pour tous à ce tableau parfait dans le vaste musée qu’est la Terre. Ainsi, nous sommes tous chanceux autant que nous sommes à condition d’apprécier ce que nous avons.

Le crépuscule : aussi quelle beauté ! Il me rappelle que comme une journée, toute chose a une fin ! Qu’aurai-je accompli et surtout qu’aurai-je laissé aux autres à la fin de ma vie ?

Grands défis et propositions

A prioriser, je dirais :

  • Le climat et la préservation de la planète ;
  • La coexistence entre les peuples et les nations : le monde est davantage aujourd’hui un village commun ;
  • L’’accélération des ruptures technologiques.

Le cycle de Kondratiev prédit la répétition d’évènements selon des cycles plus ou moins réguliers. La coexistence des hommes s’est toujours accompagnée de conflits souvent violents. Nous sommes au début du siècle comme au début du siècle précédent qui a connu les deux plus grandes guerres. Serons-nous capables, collectivement, de ne pas répéter l’histoire ? Au regard des tensions aux quatre coins du monde, entre les couches d’une même nation, d’un même peuple, je suis dubitatif. Mais en même temps, j’ai un brin d’espoir, car la crise du Covid nous a montré notre interdépendance. Par ailleurs, il existe partout une prise de conscience du rôle de l’homme dans la nature. Toutefois, le déclassement rapide de populations lié aux brusques ruptures technologiques est un risque encore plus fort pour maintenir l’intérêt de tous à cohabiter et à juger nécessaire de préserver la nature, parfois au prix de compromis économiques.