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La valorisation des startups en phase d’amorçage est un art difficile. Un raisonnement sur la base des flux de trésorerie actualisés (méthode DCF) est illusoire à ce stade. Les prévisions financières des startups reposent en effet sur des hypothèses de croissance, de marges et de taux d’actualisation trop fragiles. Mieux vaut privilégier des méthodes plus pragmatiques comme les comparables sectoriels ou la « méthode VC », plus adaptée aux attentes des investisseurs. In fine, votre valorisation dépendra avant tout de la crédibilité de votre équipe et de la confiance qu’elle inspire.
Article publié le 23 avril dans Les Echos Solutions : https://solutions.lesechos.fr/financement-compta-assurance/gestion-comptes/les-illusions-des-valorisations-dcf-en-phase-d-amorcage/

La valorisation d’une startup en phase d’amorçage ou d’un projet innovant est à la confluence de l’art et de la science. Pour autant, certains entrepreneurs raisonnent avec des arguments oniriques qui risquent de les discréditer ou de les piéger si leur projet dérape sur le plan technique, commercial… et financier.
L’empilement d’hypothèses d’investissements, de coûts, de revenus et de divers types de financements très aléatoires débouche sur des tableaux prévisionnels souvent fantaisistes qui nourrissent des discussions d’autant plus lunaires que beaucoup d’interlocuteurs n’ont eux-mêmes qu’une maîtrise très relative des tableaux de flux prévisionnels. On voit encore trop de personnes raisonner sur la base des comptes de résultats prévisionnels, sans prise en compte des investissements et du besoin en fonds de roulement.
Cette approche par les flux est nécessaire pour anticiper vos besoins de financement. Pour autant, en phase d’amorçage, l’estimation fine des flux financiers sur une longue période est une gageure. Valoriser un projet innovant sur la base de ses flux de trésorerie futurs est donc particulièrement périlleux.
Or c’est précisément ce qu’ambitionnent les méthodes de valorisation basées sur des flux de trésorerie actualisés. Si la base théorique de ces raisonnements est robuste, les résultats générés par cette méthode « DCF » des cash flows actualisés (DCF signifiant Discounted Cash Flows) sont éminemment fluctuants et peuvent faire varier vos évaluations dans des proportions considérables pour plusieurs raisons.
Des prévisions tributaires de vos hypothèses de croissance
Les jeunes entreprises innovantes ont un historique financier réduit. Anticiper vos flux d’exploitation et d’investissement à 5 voire 10 ans sera d’autant plus une gageure qu’une faible variation de vos taux de croissance et/ou de marge créera d’énormes écarts de valorisation. Il en est de même pour le choix du taux de croissance « à l’infini » qui déterminera la valeur terminale, qui s’ajoute aux flux de trésorerie actualisés sur les 5 voire les 10 premières années.
Un taux d’actualisation largement arbitraire
Pour une startup par nature risquée, le taux d’actualisation utilisé par des investisseurs sera élevé, souvent supérieur à 30%, ce qui réduit fortement la valeur actualisée des flux futurs. Côté entrepreneur, on aura en revanche naturellement tendance à minorer ce fameux taux d’actualisation qui correspond au coût moyen pondéré du capital. S’accorder sur un taux réaliste devient alors un exercice très subjectif et sujet à des débats parfois irréconciliables.
Des flux de trésorerie initiaux souvent négatifs
La plupart des startups en amorçage « brûlent du cash » et ne génèrent pas de flux positifs pendant de nombreuses années. Les analyses « DCF » compensent ces flux négatifs avec des flux de trésorerie d’exploitations considérables au bout de 5 voire 10 ans, ce qui n’est pas très réaliste lorsqu’on connaît le profil médian des startups à succès financées par le capital-risque. Un raisonnement sur des bases aussi instables que ces flux futurs présumés radieux devient carrément spécieux.
Tous ces éléments ont fait dire à François Auque, ancien CEO de la Branche Espace d’Airbus puis Président d’Airbus Ventures et Associé d’InfraVia Capital Partners que la valorisation des startups au stade de l’amorçage via les flux de trésorerie actualisés était « un non-sens absolu ».
Deux méthodes alternatives
Même si la valorisation d’une jeune entreprise est à la confluence du marchandage et des mathématiques financières, il existe des méthodes plus consensuelles :
La méthode des comparables ou des multiples de marché consiste à valoriser votre la startup par rapport à des transactions récentes intervenues dans le même secteur. Ceci peut par exemple être un multiple de vos revenus récurrents (Annual Recurring Revenues ou ARR) de 10 voire bien davantage pour certaines startups.
La méthode « VC » (pour Venture Capital) gagne également à être connue car elle part de l’objectif de plus-value qui motive l’investissement des professionnels du capital-risque. Cette méthode consiste à estimer la valorisation future d’une sortie (par rachat ou introduction en bourse) et à actualiser à la valeur d’aujourd’hui avec un multiple de retour exigé par les investisseurs. Cette approche permet d’argumenter sur la part de capital à concéder à l’occasion d’une levée de fonds.
En conclusion, évitez les valorisations « DCF » en phase d’amorçage car vous risquez de vous discréditer voire de vous piéger. Privilégiez des méthodes plus pragmatiques davantage basées sur des transactions comparables. Et, lorsque cette valorisation est motivée par l’entrée de nouveaux investisseurs au capital de votre entreprise, assurez-vous de la possibilité réelle pour ces investisseurs de multiplier par plus de trois leur mise initiale, ce qui n’intervient au demeurant que dans moins de 10% des cas.
In fine, la valorisation de votre startup sera essentiellement motivée par la confiance, en d’autres termes, par la crédibilité de votre équipe et votre capacité à transformer un projet prometteur mais risqué en un véritable succès industriel, commercial et financier.