La quête du rendement financier a parfois la faculté de transformer des hommes ordinaires en individus aussi cupides que dépourvus d’humanisme et d’empathie.
Fort heureusement, comme le montrent invariablement les enquêtes consacrées aux motivations des créateurs d’entreprises, la plupart des entrepreneurs ne sont pas prioritairement mus par l’argent. L’épanouissement personnel et la liberté arrivent toujours en tête de ces sondages, où l’enrichissement ne figure au mieux qu’en troisième place.
Cofondateur et dirigeant de PriceMinister, startup cédée dix ans plus tard au groupe japonais Rakuten, Pierre Kosciusko-Morizet a coutume de dire que « lorsqu’il s’agit d’argent, la véritable nature des gens se révèle ». Les entrepreneurs ne sont pas les seuls à vérifier cet aphorisme mais ils sont en première ligne lorsqu’ils sont confrontés à la tyrannie des cash flows et à la pression pas toujours amicale de certains investisseurs.
Paradoxalement, ce ne sont pas les actionnaires les plus modestes qui sont les plus rapaces. A maintes reprises on a constaté que les gens fortunés étaient davantage préoccupés par l’argent que le fut Narcisse par son propre reflet. Même à l’occasion d’une cession avec une confortable plus-value, on peut tomber sur un associé ou un business angel cherchant à négocier des avantages particuliers. Mieux vaut alors rester zen… et être en mesure de refuser pareil chantage.
Ainsi, l’argent rend souvent fou, pour ne pas employer un autre adjectif en trois lettres, emprunté à Jacques Brel. Le poète Horace, auteur de l’injonction « Carpe diem », disait de cet instrument de paiement qu’il était « serviteur ou maître ». Dans sa préface de La Dame aux Camélias, Alexandre Dumas fils enfonce le clou en écrivant « N’estime l’argent ni plus ni moins qu’il ne vaut : c’est un bon serviteur et un mauvais maître ».
S’ils auront souvent « la liberté de leurs cash flows », les créateurs d’entreprises technologiques sont de plus en plus souvent désireux et confrontés à la nécessité d’avoir un impact social et environnemental afin de créer une valeur réellement durable. Ceci requiert des investisseurs avisés mais également patients car le financement de l’innovation est l’antithèse du trading haute fréquence.
L’essor de l’impact investing et des financements hybrides est très encourageant car c’est une ode au capital savant et patient, à l’argent comme levier pour soulever le monde et non comme une fin en soi. L’art et la manière de réconcilier Horace, Alexandre Dumas fils, Jacques Brel et tous ces entrepreneurs qui aspirent à changer le monde en conciliant logique financière et véritable création de valeur : celle qui ne nécessite aucun coffre-fort pour la stocker et qui, à l’instar de la connaissance, se multiplie à mesure qu’on la partage.
Etienne Krieger
[Krieger E. (2019), « Argent et entrepreneuriat font-ils bon ménage ? », Les Echos Solutions, 20/01/2019]
https://solutions.lesechos.fr/flash-infos/business/argent-et-entrepreneuriat-font-il-bon-menage/