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Ce texte aborde le rôle de l’art face à la déliquescence des institutions et à la logique matérialiste prévalant dans nos sociétés occidentales. Certaines créations contemporaines qui défient les idées conventionnelles remplissent une fonction cathartique en interpellant le public. Les frontières entre la création artistique et scientifique sont poreuses, et les collaborations entre artistes et scientifiques peuvent donner naissance à des œuvres hybrides. L’espace de dialogue entre créatifs du numérique et scientifiques du digital au Cube démontrent l’importance de l’hybridation art-science dans la création et la transmission de messages singuliers.

E. Krieger

Face à la déliquescence des institutions les plus respectables et à l’irrépressible « logique du fric » qui caractérise nos sociétés occidentales, l’art constitue un pied de nez salutaire à nos confortables certitudes.

Plus certaines créations contemporaines heurtent les idées reçues, plus elles remplissent leur fonction, fût-ce au moyen de représentations parfois méphitiques. Peu importe finalement que l’on aime ou que l’on n’aime pas telle ou telle création : des artistes comme Maurizio Cattelan, Milo Moiré ou Deborah de Robertis nous interpellent et remplissent dès lors une fonction cathartique. Quelques artistes vivent au demeurant très confortablement de ce rôle de fous du roi, de provocateurs officiels qui fournissent un exutoire à des systèmes par trop schizophréniques.

On oppose parfois artistes et scientifiques, comme si la création artistique et la création de connaissances obéissaient à des ressorts et des mécanismes de pensée et d’action très différents.

Des fonctions sociales et des modes d’expression a priori très différents

L’artiste est vu comme un individu ayant le don de créer des œuvres aptes à susciter la réflexion ou l’émotion. A contrario, le scientifique contribuerait au progrès des connaissances à l’aide de méthodologies de recherche rigoureuses et ouvertes à la critique de ses pairs. Une découverte n’est jamais acquise : c’est un énoncé en instance de réfutation, auquel on parvient grâce à des calculs, des observations ou des expériences rigoureuses. Une telle démarche laisserait donc peu de place à la rêverie et à la créativité qui, dans l’imaginaire collectif, caractérisent le travail de l’artiste.

En réalité, les frontières entre la création scientifique et la création artistique sont éminemment poreuses. Scientifiques et artistes peuvent même apprendre l’un de l’autre et travailler de concert à des œuvres hybrides, fruits de recherches rigoureuses dont les résultats sont exprimés de façon débridée, à l’instar de l’art contestataire.

Le Plateau de Saclay constitue un de ces lieux où l’hybridation art-science bat son plein, notamment sous l’impulsion de la Diagonale Paris-Saclay, une association qui ambitionne de créer des passerelles entre scientifiques et acteurs de la société, notamment les artistes.

L’hybridation art-science : une approche féconde

Des appels à projets permettent d’encourager la coopération entre artistes et scientifiques. Une initiative conjointe du Théâtre du Grain et du CEARC (Laboratoire Cultures, Environnements, Arctique, Représentations, Climat) a ainsi donné lieu à l’exposition « Ils remontent le temps », à la croisée de l’art et de la paléoclimatologie. L’idée était de montrer la réalité de la recherche et l’état des océans à travers une série de textes, de photographies, d’enregistrements sonores et de vidéos.

Le Cube constitue un autre espace essentiel de dialogue entre les créatifs du numérique et les scientifiques du digital. J’ai eu l’occasion de suivre les premiers pas de l’association Art3000, la structure d’animation du Cube créée en 1988 dans les caves du Château de l’Eglantine, à Jouy-en-Josas. Près de 30 ans plus tard et grâce au soutien de plusieurs partenaires institutionnels, le Cube est devenu une référence internationale en matière de création numérique et de dialogue entre artistes et scientifiques.

L’image d’Epinal qui opposerait les « savants » et les « créatifs », les scientifiques et les artistes est très différente de la réalité où ces deux personnages s’enrichissent de leurs différences pour créer et transmettre un message singulier et plus percutant. Les travaux de Vasarely sont une parfaite illustration de cette possible connivence entre art et science.

Adapté de Krieger E. (2019), « Artistes et scientifiques peuvent-ils se comprendre ?», La Revue du Cube #15, « L’urgence de l’art », 3 mai 2019. https://issuu.com/lecube-issy/docs/def?e=36299571/69566705  (pp. 17-18)

Catégories : Société & Divers